Dans son arrêt du 13 janvier 2021 (n°19.23-533), la chambre sociale de la Cour de cassation apporte des réponses sur trois questions qui reviennent régulièrement en entreprise lors de la mise en place du vote électronique pour les élections professionnelles (mise en place ou renouvellement du Comité Social et Économique – CSE).
Les faits étaient les suivants : la société Rapide Côte d’Azur a engagé le processus de mise en place du CSE au sein de l’entreprise au cours de l’année 2018 et a souhaité recourir au vote électronique. L’employeur a donc acté, par décision unilatérale de l’employeur (DUE), ce recours au vote électronique au sein de ladite société. Une organisation syndicale intéressée, en l’occurrence la CGT des transports 06, est venue contester cette décision unilatérale devant le tribunal d’instance.
La première question qui s’est posée devant la Haute Juridiction était de savoir si la contestation de la DUE autorisant le recours au vote électronique relevait de la procédure applicable au contentieux des accords collectifs ou de celle applicable au contentieux du processus électoral.
Ensuite, l’interrogation portait sur la formule « à défaut d’accord » qui est utilisée par le législateur au niveau de l’article L.2314-26 du Code du Travail pour le recours au vote électronique par DUE.
Enfin, il convenait de s’interroger sur l’absence de délégués syndicaux au sein de l’entreprise pour la signature d’un accord collectif visant à la mise en place le vote électronique.
La contestation de la décision unilatérale de l’employeur autorisant le recours au vote électronique : procédure applicable au contentieux des accords collectifs ou procédure applicable au contentieux du processus électoral ?
Le Code du travail, à l’article L.2314-26, prévoit la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles. Le recours est possible par accord d’entreprise ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur (DUE).
Dans un arrêt du 28 septembre 2011 (n°10-27.370), la chambre sociale de la Cour de cassation précise que l’accord collectif pour la mise en place du vote électronique au sein de l’entreprise est un accord de droit commun puisqu’il est préalable et indépendant du protocole d’accord préélectoral (PAP). A juste titre, il conviendrait donc de déduire que les contestations relatives à cet accord, et donc par extension à la décision unilatérale de l’employeur (DUE), relèveraient du contentieux des accords collectifs (et non du contentieux du processus électoral) : soit une compétence des tribunaux judiciaires en premier ressort avec une possibilité d’appel sur la base de la décision rendue.
Toutefois, depuis près de dix ans, le législateur mais également la jurisprudence, s’efforcent de soumettre à un même juge l’ensemble du contentieux préélectoral et électoral (soit le tribunal judiciaire statuant en premier et dernier ressort). L’accord de mise en place du vote électronique, même en étant distinct du PAP, joue un rôle au niveau du processus préélectoral : c’est à partir de cet accord que le « fil des opérations électorales » pourra être déroulé en gardant en tête les échéances qui seront, dès lors, relatives au vote électronique. Il est vrai que ces échéances seront fixées au niveau du PAP ; mais la question du vote électronique sera déjà tranchée au préalable et ne pourra plus faire l’objet d’une opposition lors de la négociation du PAP.
C’est en suivant cette logique que la chambre sociale précise que le contentieux qui porte sur l’accord collective ou sur la décision unilatérale de l’employeur pour la mise en place du vote électronique relève du tribunal judiciaire, lequel statuant en dernier ressort (tout comme la détermination du périmètre des établissements distincts, la répartition des sièges au niveau des collèges électoraux, etc.) ; soit une application de la procédure relative au contentieux du processus électoral.
Pour rappel, le juge judiciaire statuant en l’espèce en dernier ressort, tout recours doit prendre la forme d’un pourvoi en cassation dans les 10 jours qui suivent la notification de la décision (art. R.2314-25 du Code du travail). Toute personne intéressée et disposant d’un mandat à cet effet peut former le pourvoi (C.cass., soc., 10/10/1990, n°88-60.711). Le recours n’étant pas suspensif, la décision rendue par le juge judiciaire continue à s’appliquer (C.cass., soc., 01/12/1993, n°93-60.002).
Dans quel(s) cas l’employeur peut-il mettre en place le vote électronique par décision unilatérale ?
L’article L.2314-26 du Code du travail prévoit deux possibilités pour la mise en place du vote électronique : un accord collectif ou une décision unilatérale de l’employeur. Le législateur utilise l’expression « à défaut » (sous-entendu à défaut d’accord collectif) pour prévoir le recours au vote électronique par DUE.
Toute la question étant de savoir s’il s’agit ici d’une alternative simple – c’est-à-dire que l’employeur aurait le choix entre négocier un accord ou prendre une décision unilatérale – ou s’il s’agit d’une subsidiarité – l’employeur doit tenter une négociation avec les organisations syndicales représentatives (OSR) et ce n’est qu’en cas d’échec de celle-ci qu’il pourra mettre en place le vote électronique par DUE.
La chambre sociale a déjà affirmé, à plusieurs reprises, que les termes « à défaut » qui sont employés par le législateur en matière de relations collectives renvoyaient à une subsidiarité. Ces termes ne sont pas à confondre avec l’expression « en l’absence » ; qui renvoie à une alternative simple (notamment pour déterminer le périmètre des établissements distincts – C.cass., soc., 17/04/2019, n° 18-22.948).
Dès lors, la chambre sociale nous précise les éléments suivants :
« Il résulte des articles L. 2314-26 et R. 2314-5 du code du travail que la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe, et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.
Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique ».
L’employeur a donc l’obligation, à partir du moment ou des délégués syndicaux sont présents dans l’entreprise, d’ouvrir la négociation pour mettre en place le vote électronique en prévision des prochaines élections professionnelles. Et ce n’est qu’en cas d’échec, après une tentative loyale de négociation, que le vote électronique pourra être mis en place par décision unilatérale de l’employeur.
Quid de l’absence de délégués syndicaux en entreprise ? L’employeur peut-il directement mettre en place le vote électronique unilatéralement ?
Un constat simple : toutes les entreprises n’ont pas de délégués syndicaux en interne (voir en ce sens notre article : Les élections professionnelles et la désignation des délégués syndicaux).
L’article L.2232-24 du Code du travail prévoit une négociation dite dérogatoire pour les entreprises dont l’effectif est au moins égal à cinquante salariés. Ainsi, dans ces entreprises en l’absence de délégués syndicaux, « les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) peuvent négocier, conclure, réviser ou dénoncer des accords collectifs de travail s’ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l’entreprise ou, à défaut, par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel. La validité des accords ou des avenants de révision conclus en application du présent article est subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés ».
La question étant ici de savoir si l’employeur doit faire application de cette négociation dite dérogatoire pour la mise en place du vote électronique. La chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative à cette question. Ainsi, en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise (DS), l’employeur peut directement mettre en place le vote électronique par décision unilatérale.